Par Henry BUZY-CAZAUX président de l'ESPI (Ecole Supérieure des Professions Immobilières) : "Bien sûr, il faut relativiser l’importance des titres de presse. Mais tout de même, ils rendent compte des discours ambiants et des idées dominantes : « Immobilier, c’est reparti ». Je n’en prends qu’un exemple, choisi pour sa couverture par un grand hebdomadaire, que j’apprécie au demeurant. Pour autant, je trouve qu’on tombe dans l’excès, ou qu’en tout cas il faut préciser et que le genre de la titraille, parce qu’il force à la caricature, n’est pas adapté à la nécessaire nuance à apporter au constat du rétablissement du malade immobilier. On va un peu vite en besogne. Et quand on se plonge dans le dossier, c’est-à-dire derrière le titre évocateur, on reste encore sur l’impression que le moral est à l’enthousiasme et la liesse : la crise est finie.
Je ne m’associe pas à cette joie. Certes, je prends ce qui vient de bonnes nouvelles, qu’il s’agisse de la reprise des ventes des logements neufs, celle qui anime le marché de la revente, l’augmentation des chiffres d’affaires des promoteurs et des agents immobiliers et la fin des licenciements dans ces secteurs, comme la moindre dégradation du marché de l’emploi ou la résistance de la croissance à un niveau presque surprenant. Soit. Il me semble néanmoins qu’on a la mémoire courte : la gravité de la crise économique a été telle qu’une si prompte guérison est inimaginable. Quant aux conséquences directes sur l’immobilier, elles ne sauraient non plus se résorber si vite, ni sur les acteurs professionnels – qui auront connu un taux de mortalité historique – ni sur les ménages.
On ne peut minimiser l’impact de la dégradation de l’emploi sur le marché : par définition, un Français sur dix n’a plus accès au crédit et la réalité est bien plus sévère… les auto-entrepreneurs par exemple, mais au-delà tous les statuts précaires, les temps partiels ne peuvent pas emprunter. On doit arriver ainsi à 20% de la population active coupée du marché de l’achat de logements.
Je l’ai dit par ailleurs : la peur du chômage n’est pas un déclencheur, du moins pour l’essentiel de la population. Le réflexe consistant à dire, cyniquement, qu’on va se dépêcher d’acheter lorsqu’on redoute d’être licencié pour être plus solide que si l’on était locataire est exceptionnel ! Et de vous à moi, c’est plutôt mieux : économiquement, juridiquement, il est vrai qu’il est préférable d’être emprunteur… surtout si l’on a souscrit une assurance ad hoc (ce qui n’est le cas que pour 10% des emprunteurs !) et de négocier avec le banquier un moratoire de remboursement, alors qu’un locataire qui ne paye plus son loyer est un occupant sans titre, expulsable du jour au lendemain… en théorie. Il n’empêche : la plupart des Français ne s’engagent pas dans un parcours d’accession quand leur horizon à six mois est obscur.
Et puis regardons de plus près cette reprise pour voir si elle est totale, comme une sorte de grande guérison, ou si elle est seulement partielle. Résolument, le marché n’a recouvré sa vigueur ni partout ni sur tous les segments de produits, comme le note d’ailleurs le Xerfi dans sa dernière note de conjoncture. Les grandes agglomérations ont enregistré une reprise des volumes de vente très significative, ce qui n’a été le cas ni des zones suburbaines ni des zones rurales. Surtout, l’augmentation attestée des prix, de l’ordre de 8.5% selon Century 21, crée un marché très exclusif, qui désolvabilise une fraction très importante de la population. C’est ainsi par exemple qu’en dépit de taux bas, deux franciliens sur trois ne peuvent pas acheter dans la capitale et le constat vaut pour tous les grands pôles urbains.
Au bout du compte, à la fin de 2010, il manquera sans doute quelque 200 000 transactions par rapport à une bonne année telle que 2007. Reprise oui, mais sélective et bien incomplète, fragile en outre sur la base de fondamentaux économiques chancelants. Il faut ajouter que la hausse des prix et le discours sur la hausse des prix ont un effet embarrassant : la rétention des biens par les propriétaires et le probable retour de choix spéculatifs. « Puisque ça monte et vite, qui plus est, attendons quelques mois pour vendre ». Une bulle pourrait-elle se reconstituer ? Je ne l’exclus pas. Les experts savent que les Français achètent non pas au son du violon, mais au son du canon, quand ça monte, générant des surtensions dans un marché déjà trop pauvre par rapport aux besoins.
Je trouve la reprise actuelle, parce qu’elle se double d’une forte hausse des prix et même est générée par cette hausse en grande partie, dangereuse. Du coup, elle est fragile et pourrait bien annoncer des lendemains difficiles. Dans ce contexte, si la fin des aides financières et fiscales généreuses pourrait contribuer à assagir les valeurs, ce serait une heureuse nouvelle."
Source : Henry BUZY-CAZAUX est président de l'ESPI (Ecole Supérieure des Professions Immobilières).
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