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Emmanuelle et Julien ont tout juste passé le cap de la trentaine, l'âge des premiers renoncements. Ce couple de Parisiens, parents de deux jeunes enfants, a déjà fait une croix sur un de ses rêves : être un jour propriétaire de son logement. Ils ne sont pourtant pas à plaindre. Lui est cadre dans une société d'assurances ; elle, attachée de presse. A eux deux, ils gagnent près de 4 500 euros net par mois. Deux fois plus que la moyenne des familles françaises... mais pas assez toutefois pour acheter un appartement familial dans la capitale. Alors, afin de satisfaire leur désir de propriété, ils ont acquis une chambre de bonne qu'ils louent, "histoire d'assurer leurs arrières et de préparer la retraite", explique Emmanuelle.

 

Classement exclusif du mal-logement
Rang général Ville
1er Nice
2e Paris
3e Aix-Marseille
4e Montpellier
5e Toulon
6e Lille
7e Perpignan
8e Grenoble
9e Nîmes
10e Strasbourg
11e Lyon
12e Bordeaux
13e Dijon
14e Le Havre
14e Toulouse
15e Orléans
16e Nantes
17e Saint-Etienne
18e Metz
19e Clermont-Ferrand
20e Rennes
21e Le Mans
22e Reims
23e Besançon
24e Tours
25e Angers
26e Brest
27e Limoges
NC Amiens

Trois familles de critères ont été retenues : l'accessibilité à l'achat et à la location, l'effort de construction des villes et le fonctionnement du logement social, pour un total de sept critères. La position d'une ville dans le classement général correspond à la moyenne de ses positions.

La peur croissante de se retrouver à la rue

De telles histoires se comptent par millions en France, et beaucoup d'autres prennent un tour plus dramatique : des mères célibataires réfugiées dans des caravanes, des familles s'entassant dans des chambres d'hôtel insalubres, des ouvriers dormant dans leurs voitures. Une misère quotidienne médiatisée par des associations comme Jeudi noir ou Les enfants de don Quichotte, et qui marque les esprits. Mais pas tant que ce sondage réalisé cet hiver par BVA : plus de la moitié des Français, et jusqu'à 64 % des ouvriers, ont peur de se retrouver à la rue ! Une enquête de Nexity enfonce le clou : huit personnes sur dix jurent que trouver un logement relève d'un parcours du combattant.

Ces chiffres ne trompent pas : "Nous connaissons la pire crise du logement depuis le début du XXe siècle, hormis celle de la période 1945-1954, lorsque la France a choisi la relance économique par l'industrie en faisant l'impasse sur la construction", assure Patrick Doutreligne, le délégué général de la fondation Abbé-Pierre. D'après ses chiffres, 3,5 millions de Français seraient très mal logés - 100 000 SDF ! -, tandis qu'une masse silencieuse de 6,5 millions de foyers serait dans une situation de vraie fragilité immobilière.

Fait nouveau, le travail n'assure plus forcément un toit décent. "La propriété, après avoir symbolisé l'émancipation des classes moyennes, reste pour tous un symbole de réussite. C'est bien plus qu'un investissement patrimonial. C'est un véritable statut social. Ne pas pouvoir y accéder constitue un facteur de déclassement", analyse Claire Julliard, sociologue à l'université Paris-Dauphine.

La location n'est pas plus aisée en province

Et les portes de la location ne sont guère plus ouvertes. A Paris, le loyer moyen d'un appartement familial absorbe près de 43 % du revenu médian d'un ménage. En province, la vie est parfois aussi difficile. Sandrine, une coiffeuse qui élève seule ses deux enfants, en témoigne : "Je gagne 1 100 euros par mois pour un loyer de plus de 800 euros, avec des aides au logement de 125 euros."

Evidemment, la flambée des prix de la pierre ces dernières années explique en partie ces difficultés. Mais les racines du mal sont bien plus profondes. "Depuis la fin des Trente Glorieuses, il y a une déconnexion entre le nombre de constructions en cours et les besoins des Français", précise l'économiste Thierry Debrand. Il manquerait ainsi près de 900 000 logements dans l'Hexagone, d'après Michel Mouillard, spécialiste du logement et professeur à l'université Paris X-Nanterre.

"Cette crise a été fabriquée par les pouvoirs publics, qui ont conduit depuis quarante ans des politiques entretenant une rareté foncière et une insuffisance de construction", ajoute Christian Julienne, économiste et auteur de Comprendre la crise du logement (Les Belles Lettres). "L'Etat ne pourra pas se défausser du problème encore longtemps. Il ne faut pas oublier que la politique du logement se fait à Bercy", ajoute Vincent Renard, directeur de recherche au CNRS.

Coûts d'accès au logement : la capitale inabordable
Rang Ville Taux d'effort à l'achat Taux d'effort à la location
29e Paris 63 % 43 %
28e Aix-Marseille 34 % 31 %
25e Montpellier 30 % 33 %
25e Lille 32 % 31 %
25e Nice 38 % 30 %
24e Bordeaux 27 % 26 %
23e Grenoble 24 % 27 %
22e Toulouse 25 % 25 %
21e Nantes 26 % 24 %
20e Nîmes 24 % 25 %
19e Rennes 23 % 26 %
18e Lyon 24 % 24 %
17e Amiens 21 % 29 %
16e Toulon 27 % 22 %
15e Perpignan 21 % 26 %
12e Le Havre 23 % 24 %
12e Angers 23 % 24 %
12e Strasbourg 23 % 24 %
11e Dijon 22 % 24 %
10e Clermont-F. 21 % 24 %
9e Reims 25 % 21 %
6e Tours 21 % 22 %
6e Metz 21 % 22 %
6e Orléans 21 % 22 %
5e Besançon 19 % 22 %
4e Le Mans 18 % 21 %
3e Limoges 17 % 20 %
2e Saint-Etienne 16 % 20 %
1er Brest 16 % 19 %

Pour les 30 plus grandes villes de l'Hexagone, L'Expansion a calculé le "taux d'effort". Il s'agit de mesurer la part du revenu d'une famille type avec deux enfants absorbée par le loyer ou le remboursement d'un crédit d'un appartement de 70 mètres carrés. Ainsi, se loger à Paris est inabordable pour la plupart des Franciliens : les remboursements d'un crédit mangeraient 63 % du revenu moyen. A Nice, ce taux d'effort à l'achat atteint 38 %. Il n'est inférieur à 20 % qu'à Besançon, au Mans, à Limoges, à Saint-Etienne et à Brest.

Des règles d'urbanisme plus contraignantes

Si on ne construit pas assez, c'est parce qu'on manque de terrains, se défendent certains maires, dénoncés pour leur frilosité. Faux ! "Des espaces, il y en a, même beaucoup, sauf qu'ils ne sont pas disponibles", accuse Vincent Foucher, PDG du Groupe ICF, une filiale de la SNCF qui gère des milliers de logements sociaux en Ile-de-France. "Le durcissement des règles d'urbanisme et la volonté politique de préserver les paysages et les territoires agricoles ont conduit à rendre les deux tiers du territoire non constructibles", explique Christian Julienne. Pourtant, les maires ont la possibilité depuis 1983 de rendre constructible une forte proportion de terrains communaux par le biais des plans d'occupation des sols et des plans locaux d'urbanisme. Une option que peu d'entre eux exercent : pour assurer sa réélection, mieux vaut ne pas passer pour un maire bâtisseur.

Mais la responsabilité des pouvoirs publics ne s'arrête pas à la seule question du foncier. Aucun décideur politique n'a su anticiper les changements démographiques et sociologiques qui ont bouleversé la société française depuis le début des années 80 : montée de l'immigration, explosion du nombre de divorces, vieillissement de la population.
Logement, une catastrophe française
Tag(s) : #Conditions logement
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